La Colombie, du café et des hommes !
27.09.2023
Changement de continent et de boisson: Thierry Heins s'est intéressé au café colombien. Récit.
Aller à la rencontre des producteurs de café est une étape incontournable d’un séjour en Colombie. Nous savons peu de choses de cette culture tropicale, et des critères essentiels à la préparation d’un bon café, pourtant si bien implanté dans notre culture. De l’arbre à la tasse, nous avons donc suivi le parcours d’un grain de café dans la région de Salento, et sommes partis à la rencontre des paisas, les habitants de la région caféière centrale de Colombie. Du cultivateur aux baristas en passant par le torréfacteur, trois inoubliables rencontres avec ceux qui, en coulisses, sont à l’œuvre pour nous régaler d’indispensables arabicas.
Finca Las Acacias
À un jet de pierre du charmant village de Salento, la Finca Las Acacias est une petite exploitation familiale accrochée à des collines escarpées; 4 ha de caféiers y sont cultivés, et les 3 has restant réservés à quelques fruits et légumes. Nous sommes accompagnés par José, qui nous explique avec passion et brio toutes les étapes de la production d’un bon grain de café. Ainsi, il existe trois grandes variétés de café dans le monde : l’Arabica, qui représente les deux tiers de la production mondiale, le Robusta, principalement cultivé au Brésil et dont la moindre qualité le destine plutôt aux cafés instantanés, et enfin le Liberica (moins de 2%).
La Colombie est le troisième producteur mondial de café, derrière le Brésil et, ce qui nous surprend, le Vietnam. Quant au 4e producteur, comme le souligne José, hilare, « on s’en fout! ».
Second secteur de l’économie colombienne, le café est principalement cultivé dans une dizaine de départements de la Cordillère. Les hautes et splendides vallées d’El eje cafetero (zone du café), qui comprend les régions de Manizales, Pereira ou encore Armenia, sont les plus visitées, offrant de splendides écrins à la culture du café. Les plantations s’étalent sur des pentes vertigineuses au milieu d’une végétation luxuriante, entre bananiers, manguiers, fleurs du paradis et plantations maraîchères.
Puisqu’ici tout semble pousser avec une facilité déconcertante, les jeunes caféiers entrent en production dès l’âge de 3 ans et alternent ensuite 3 cycles de production et repousses : 5 ans de production, rabattage des plants et nouvelle période improductive de 2 ans, suivie d’une nouvelle phase de production de 5 ans, nouveau rabattage et période improductive de 2 ans, pour finalement donner des fruits pendant encore 3 ans. Au total, un plant de café vit donc une vingtaine d’années.
Les fruits du caféier, appelés « cerises » (voir photo principale) et dont la pulpe est sucrée, sont récoltés principalement d’avril à août même si les plants produisent toute l’année, pour un rendement à l’hectare ne dépassant pas 1,5 tonne les bonnes années. La cueillette nécessite un travail pénible et très mal rémunéré. Seuls les fruits les plus mûrs sont cueillis, et chaque plant doit ainsi être visité chaque semaine sur des contreforts escarpés et sous un soleil de plomb. Les meilleurs cueilleurs parviennent à récolter 100 kg de cerises par jour ; à raison de 500 pesos colombiens par kilogramme collecté, un cueilleur gagne une quinzaine d’euros par jour. Une information que l’on gardera en tête, lorsque de retour en Europe, on commandera une tasse de café dans quelque bistrot pour un prix sans doute trop bon marché.
Aussitôt récoltées, les cerises sont « épluchées » dans un moulin, et les grains lavés pour en éliminer le mucilage. Les grains de café sont ensuite séchés, soit au soleil sur des grands plateaux, soit à l’air chaud (plus rapide mais énergivore). Ils sont finalement triés manuellement, grain par grain, et seuls les plus beaux sont retenus pour les cafés premier choix, ceux qui sont principalement consommés hors des frontières du pays.
Alors que l’on termine notre visite par une dégustation sous une pergola en contemplant la splendide vue sur la vallée, José nous explique: “La difficulté majeure des petits producteurs est de réussir à valoriser correctement leur café et de sortir du marché colombien, dominé par quelques gros acteurs qui exportent près de 85% de la production nationale et fixent les prix d’achat.” Ainsi, la totalité du café produit sur les terres de la Finca Las Acacias est écoulée localement, auprès des touristes colombiens ou étrangers qui viennent visiter leur exploitation.
Jesús Martín, un torréfacteur régulièrement primé au SIAL.
Descendant de 4 générations de producteurs de la région de Salento, Jesús s’est lancé dans la valorisation de la production familiale il y a 13 ans. Aujourd’hui, il sélectionne ses cafés auprès de 17 producteurs dans 6 départements colombiens, dont notamment deux associations, l’une de femmes et l’autre d’indigènes de la région de Toloma.
Très sensible aux qualités gustatives de son café, il réalise un contrôle très strict dès la récolte et jusqu’à la torréfaction, sa spécialité: « elle doit être moyenne, car plus expressive et respectueuses des fragrances et arômes du fruit », explique-t-il. Fort d’une tradition familiale de plus d’un siècle, il réalise le séchage des grains selon d’anciens procédés. Il insiste aussi longuement sur l’importance de la traçabilité, de l’histoire et du savoir-faire qui résulte d’une tasse de café. Lui aussi, malgré ses nombreux prix (cette année encore, trois de ses cafés ont été médaillés d’or et d’argent par l’AVPA à Paris), se heurte aux difficultés d’accès au marché international, et 90% de son café ne quittent pas les frontières du pays, les 10% restant étant emmenés par les touristes étrangers de passage à Salento.
Il éveille aussi notre attention sur l’importance de consommer « un café frais », dans un délai suffisamment court après la récolte pour en conserver toutes les qualités gustatives. Sa méthode de préparation préférée? Les filtres Chemex et les machines à expresso, qui, selon lui, sont les seules à préserver la subtilité des arômes.
Jesús tente d’éduquer le consommateur et les distributeurs, au travers des réseaux sociaux mais également par des programmes de formations dans son laboratoire à Salento et destinés aux futurs sommeliers colombiens; « Jamais plus de deux étudiants à la fois, afin de garantir un transfert de compétences et de connaissances efficaces. »
S’il fait partie des rares petits producteurs qui détiennent une licence d’exportation, il n’a pas encore trouvé d’importateur pour son café d’une douceur exceptionnelle et délicieusement fruité.
De l’art de préparer un café dans une machine centenaire
Après avoir visité une plantation de café et discuté de torréfaction avec l’un de ses spécialistes, notre initiation au café colombien s’achève par une rencontre inoubliable avec la famille Araque Hurtado, baristas depuis près de 50 ans sur la place centrale de Salento. C’est sur un petit bout d’histoire de l’Amérique latine que s’ouvrent les hautes fenêtres du Balcon de Los Recuerdos: sur le comptoir, quelques buñuelos, aux tables rondes, quelques paisas jouent aux dominos, et derrière le bar, une curieuse machine aux chromes éblouissants crache des jets de vapeur dans un joyeux fracas.
Une véritable Victoria Arduino, de fabrication italienne, pilotée avec adresse par le frère Araque, régale depuis 1905 (!) les amoureux d’arabica. Aussi belle que ses cafés sont bons, la Victoria Arduino n’a jamais été modifiée depuis qu’elle s’est installée à Salento.
Mais la machine s’efface vite face à la gentillesse et à la bienveillance toute colombienne de cette famille. On est accueilli comme un vieil ami à peine franchies les portes du troquet surnommé Café de la Esquina, le café du coin.
C’est avec une tendresse déroutante que les soeurs nous racontent l’histoire de leur famille, étroitement liée à cette étonnante machine. Leur papa Orlando fait l’acquisition du Balcon de los Recuerdos en 1961, et avec elle, de trois autres antiques machines à café. Une seule est toujours en activité, bien que les deux autres, qui trônent fièrement sur la mezzanine, « fonctionnent encore parfaitement ».
Le portrait d’Orlando devant sa machine veille toujours avec indulgence sur le bistrot, et ce n’est pas sans un regard pour lui que Beatriz et Nhora nous confient s’être vu offrir pour la Victoria Arduino des sommes que d’aucuns auraient acceptées sans sourciller. “Pero nunca!”
C’est l’âme des Araque Hurtado que la machine insuffle dans chaque tasse de café, et s’en séparer serait dire adieu à un pan de leur histoire. Presque 50 ans après qu’un Araque ait préparé sa première tasse de café au comptoir du Balcon de los recuerdos, ce sont toujours deux générations d’Araque Hurtado qu’on retrouve en salle: frères, soeurs, neveux, et même voisins venus prêter main forte. Et derrière le bar, les chromes rutilants de la Victoria Arduino 1905 soufflent des jets de vapeur pendant que flottent les fragrances du café de Don Jesús Martín jusque dans la calle Real de Salento…
Avec la culture du café, c’est une part de l’histoire de la Colombie qui s’écrit depuis plus d’un siècle dans ses régions montagneuses, douce amère mais si chaleureuse, à l’image d’une tasse d’arabica, loin de la violence et des clichés qui malheureusement trop souvent sont pour nous associés à un pays plein de contrastes.
C’est une part de l’histoire de ce peuple, si accueillant et bienveillant, des rues grouillantes de Bogota aux plages caribéenne de Cartagena, des ruelles tortueuses des hauteurs de Medellin aux salsotecas de Cali.