A la redécouverte du terroir de l’Etna

Par Dirk Rodriguez 

02.12.2022

L’histoire de la Sicile est bien plus ancienne que celle de Rome. Objet de toutes les convoitises au fil des siècles, l’île fut rattachée au royaume d’Italie en 1860 et gagna son autonomie en 1946. Redevenue une nation viticole depuis les années ‘80, elle occupe désormais une place de choix sur la carte mondiale du vin, surtout grâce à la redécouverte du terroir de l’Etna.

Les viticulteurs siciliens ont longtemps survécu uniquement en exportant leurs vins rouges en vrac vers le nord de l’Italie pour donner un peu plus de corps aux vins des collines toscanes. Cette pratique ne cessa que dans les années 1980, mais les « supertoscans » ont malgré tout influencé les grands producteurs du sud : ils les ont convaincus que le Cabernet, le Merlot et la Syrah produiraient également de bons résultats pour eux.

Les principaux producteurs tels que PlanetaTasca ou la coopérative Settesoli ont alors entrepris la reconquête des marchés internationaux. Avec succès. Le cépage local Nero d’Avola accompagna cette renaissance. En effet, les vins siciliens rencontrant un bon accueil dans la presse internationale, les raisins indigènes furent promus. On se mit dès lors à produire du 100% Nero d’Avola en rouge et du 100% Grillo en blanc.

Aujourd’hui, ce sont généralement les deux seuls cépages siciliens qu’un amateur de vin moyen connaît. La découverte des vins de l’Etna permit de mettre d’autres variétés en évidence, comme le Nerello mascalese ou le Nerello cappuccio en rouge, ou le Carricante. Tous ces cépages sont une vraie richesse pour le monde viticole. Et si cela ne suffisait pas, il existe 85 autres cépages autochtones sur l’île.

La première vague

Si au début des années 2000, la région de l’Etna géant volcanique qui couvre 1190 km2 (plus que le Brabant wallon !) ne comptait que 10 producteurs, on en dénombre 136 aujourd’hui ! Parmi les éléments déclencheurs de ce développement, on peut citer l’arrivée en 2001 du Belge Frank Cornelissen sur les flancs du géant volcanique pour y faire des vins en amphores ainsi que celle du marchand toscan Marco de Grazia, qui a véritablement popularisé les grands vins italiens de par le monde depuis 1980.

Visionnaires à bien des égards, ces deux personnalités, qui ont rapidement fait connaissance, ont été attirées par l’élégance, la complexité et la force du vin volcanique, malgré sa couleur claire, y voyant l’équivalent d’un grand Bourgogne.  « Je parlerais plutôt d’intuition, explique Frank Cornelissen, j’ai senti que tout était là pour faire un bon vin : terroir, tradition, cépages, l’environnement. Le fait qu’il y ait ici comme en Bourgogne des lieux-dits ou des crus depuis des siècles a également renforcé mes convictions. L’altitude joue également. Au pied de l’Etna, nous sommes à 600 m au-dessus du niveau de la mer, les vignobles sont plantés jusqu’à quasiment 1 000 mètres. Il y a aussi le sous-sol volcanique (avec 46 types de lave différents) et le caractère du Nerello mascalese, une variété de raisin qui doit son nom au village de Mascale qui a été détruit par une éruption volcanique. Il est traditionnellement assemblé avec une petite part de Nerello cappuccio qui donne du corps et de la couleur au vin, mais qui est peu recherché. »

  • Christian Liistro at Terre Nere

Même si l’Etna compte de nombreux domaines viticoles, on ne s’y bouscule pas. Christian Liistro, bras droit de Marco de Grazia, nous reçoit à Terre Nere avec un trousseau de clés à la main. « Oui, rit-il, chaque vignoble est entouré d’une clôture avec un portail. Pas contre les sangliers, mais contre les Siciliens : personne ne fait confiance à l’autre. Je viens de Catane et je suis habitué à la mer. Sur la côte, nous recevons beaucoup de monde et nous sommes régulièrement en contact avec des étrangers, mais ici nous sommes en montagne. Le caractère des gens est assez fermé ici. De plus, ils n’ont pas vu un chat au cours des 50 dernières années, c’est seulement maintenant qu’il y a un peu de vie. En 1968, l’Etna connut une éruption du côté nord, qui a tout détruit dans la vallée par une coulée de lave qui a parfois atteinte 300 mètres de large. Les conséquences sont encore visibles. En tant que viticulteur, vous devez donc répartir vos vignes au mieux. »

Terre Nere s’est constitué sur les vignes d’un ancien vigneron, Peppino. La parcelle la plus précieuse date d’avant le phylloxéra et est située dans le clos « Calderara ». Certains pieds ont même plus de 200 ans. Avec encore plus de fierté, Liistro déverrouille une autre parcelle un peu plus haut appelée « Guardiola ». « C’est en fait un Grand Cru, dit-il, les anciens ont toujours su que les meilleurs vins venaient d’ici. »

La deuxième vague

Alta Mora est un nouveau domaine qui a acheté trois parcelles sur le flanc nord en 2013. Elle a fait construire une cave ultramoderne à Verzella, verticalement percée dans la roche volcanique. C’est une initiative de Cusumano, que nous retrouverons plus tard à Partinico. « On peut dire que Cusumano a attendu relativement longtemps avant d’investir ici », déclare Silvio Mobili, retraité actif et bras droit de Diego Cusumano pendant des décennies. « Des années de recherche ont été nécessaires, nous voulions de bons terroirs. « Cela a permis d’attirer l’attention sur ce que l’on appelle les ‘Contradas’ en Sicile, l’équivalent des Crus », comme l’a également souligné Frank Cornelissen.

Parmi les « Contradas » de l’Etna, on trouve des secteurs comme ‘Solicchiata’, ‘Pietramarina’ ou le déjà cité ‘Guardiola’. Selon Mobili, rejoignant ainsi l’opinion de Liistro, ce dernier vignoble est certainement l’un des meilleurs. Ici aussi, on pratique la taille Alberello, qui permet de planter plus de pieds sur les terrasses et qui laisse plus facilement passer le vent après une averse pour sécher les raisins. Le système présente toutefois quelques inconvénients : tout le travail doit être effectué à la main, il n’y a pas de place pour un tracteur.

  • Guardiola "cru" vineyard, alberello-system

Un autre aspect de la viticulture sur l’Etna peut être découvert chez Tascante, un projet de la famille déjà citée Tasca d’Almerita. Elle produit du vin ici depuis 2009, mais pour l’instant, la majeure partie est commercialisée sous AOC Sicilia, car pour sortir sous AOC Etna, il faut que l’embouteillage soit effectué sur place et cette unité de production est encore en construction.

La famille a acheté d’importants vignobles historiques sur l’Etna, mais les a trouvés dans un état pitoyable. Les terrasses ont été reconstruites pierre par pierre. Une des plus belles parcelles est celle de Piano Dario qui s’étire comme un amphithéâtre. La partie supérieure rappelle un village aztèque, notamment une tour construite avec des pierres grises de l’Etna que l’on retrouve aussi sur les terrasses.

Lorsqu’un vignoble n’est plus entretenu, il est rapidement envahi par des arbustes qui étouffent la vigne. Les tempêtes et les fortes précipitations brisent les terrasses construites par l’homme, et les tempêtes ne sont pas rares ici. L’altitude et les pluies rendent l’Etna également intéressant pour le vin blanc, en particulier lorsqu’il est fabriqué à partir du cépage Carricante qui s’épanouit sur la roche volcanique. Selon Stefano Masciarelli, œnologue de Tascante, le Carricante permet de produire un vin méditatif qu’il vaut mieux laisser vieillir pendant 5 ans au moins.

Un autre des facteurs de qualité de l’Etna est que les vignobles ne forment pas une mer de vignes en monoculture, ils sont au contraire entourés de muscadiers, d’oliviers, de figuiers et de genêts aux racines très puissantes qui percent la roche volcanique avec une patience angélique.

5 générations sur l’Etna

Attardons-nous à présent sur le versant sud du volcan où les vins ont un caractère légèrement différent. Ils sont un peu plus ronds et plus charnus. C’est ici que s’est établi Gaja, producteur renommé de Barbaresco dans le Piémont, mais le premier vin rouge n’a pas encore été mis en bouteille.

Nous retrouvons ici un des producteurs les plus anciens et traditionnels, Cantine Nicosia, avec Philip Roose pour en diriger l’exportation, une star en Flandre pour ses ouvrages, dont le besteller écrit avec Joost Houtman il y a quelques années, « Bella Figura », qui explique pourquoi les Italiens sont si italiens… « Si l’on peut comparer les vins du flanc nord du volcan avec un bourgogne ou un barolo, ceux du flanc sud se rapprochent plutôt des barbera: des vins fruités, plus ensoleillés et aussi plus rapides à boire », nous explique Roose en nous faisant faire le tour du vignoble Monte Gorna, avec vue sur mer et sur la ville de Catania.

Fondé en 1898, ce domaine est aujourd’hui exploité par la cinquième génération des Nicosia, il n’a cessé de croître grâce au développement de son propre réseau de bars fournis à l’époque en charrettes tirées par des mules. « Cela s’est bien passé, car il existait déjà une sorte d’enthousiasme pour le vin autour de l’Etna au milieu du XIXe siècle », explique Roose. Mais vers 1890, la crise du phylloxera a éclaté et tout a dû être recommencé ».

Cantine Nicosia produit d’étonnants vins mousseux à base de Carricante et de Nerello mascalese. Mais les meilleurs vins (biologiques) et leurs acides nobles font penser au vin toscan. « Ce n’est pas surprenant, certains prétendent que le Nerello est un croisement entre le Sangiovese et le Pinot noir », explique Roose qui se réjouit de l’intérêt que le monde porte aux vins de l’Etna. « Je suis heureux que les Siciliens redécouvrent la richesse naturelle de leur propre pays, conclut-il. C’est aussi le retour de l’agriculture artisanale avec les câpres, le café, les citronniers ou les figuiers. Cette richesse de saveurs est unique. »

Dossier réalisé avec l’aide de ICE – Agence pour la promotion à l’étranger et l’internationalisation des entreprises italiennes – Section pour la Promotion des Echanges Commerciaux de l’Ambassade d’Italie (Bruxelles)

infos: www.ice.gov.it – www.italtrade.com

  • Philip Roose at Monte Gorna

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