Grafé Lecoq, le dernier éleveur en Belgique ?

Par Baudouin Havaux 

09.10.2023

De la vigne au verre, le vin passe par de nombreuses étapes qui constituent autant de métiers et de compétences qui misent bout à bout nous permettent de déguster de beaux vins. Un des maillons de cette chaine est le métier d’éleveur. Une profession  autrefois florissante en Europe et particulièrement en Belgique où le transport du vin s’effectuait en tonneau par voies terrestres ou maritimes. A l’époque la Belgique comptait des centaines d’entreprises qui exerçaient à la fois le métier de négociant, d’éleveur et d’embouteilleur. 

Aujourd’hui, en Belgique, Bernard Grafé est l’unique héritier de ce savoir-faire qui est depuis longtemps déjà exercé en amont dans les régions de production par les producteurs ou négociants qui commercialisent leurs vins en bouteille. 

L’histoire de la maison familiale « Grafé Lecoq », commence en 1879 au siège originale, toujours situé à l’ombre de la cathédrale Saint Aubin au n° 9  de la place Saint Aubin à Namur. C’est là que son arrière-grand-père, Henry, âgé de 20 ans et sa récente épouse Léontine, débutent leur commerce de vin. Assez rare à l’époque , moins non moins méritoire, Henry décide de juxtaposé sur l’enseigne, le nom de son épouse « Lecoq ». Au début l’activité se concentre sur la Bourgogne et le Bordelais. Les générations qui se succèdent créent dans les différentes régions vinicoles françaises un véritable réseau commercial basé sur la confiance et l’amitié. Ce qui leurs permit d’obtenir petit à petit des allocations  auprès de prestigieux châteaux, comme Pétrus, Cheval Blanc ou Léoville-Las Cases, qui étaient élevés et mis en bouteille dans les caves namuroises jusque dans les années 1960 / 1970, lorsque ces châteaux décidèrent de ne plus expédier leurs vins qu’embouteillés en propriété. Si depuis cette époque Grafé Lecoq ne commercialise plus de « mises belges » de ces châteaux renommés sous leurs étiquettes originales, Bernard Grafé a conservé d’étroites relations, tissées depuis des décennies, avec leurs propriétaires qui lui vendent confidentiellement des fûts originaires de Pauillac, Margaux , Saint-Julien ou Pomerol. Ces vins ne peuvent évidemment pas être vendus sous l’étiquette du producteur. Une gamme spécifique portant le nom de « Florilège » rassemble ces précieuses pépites. Le catalogue classique de la maison est constitué exclusivement d’une centaine de vins français. Bernard Grafé explique : « la France est assez grande et je suis un spécialiste plutôt qu’un touche à tout. Grafé Lecoq est une PME et je n’ai pas envie de déléguer. J’ai développé un réseau bien ancré dans des terroirs particuliers un peu partout en France et je préfère les suivre personnellement. Small is beautiful ! ». 

Immanquablement, la campagne d’achat commence chaque année en novembre avec la vente des hospices de Beaune et l’acquisition d’une ou plusieurs pièces. Dans la foulée, Bernard, toujours accompagné d’un collaborateur, entreprend deux voyages de prospection d’une quinzaine de jours, l’un dans l’est, l’autre dans l’ouest de la France. L’occasion de déguster des centaines de crus à l’aveugle, ce qui lui permet de révéler une photographie du millésime. Il ne reste plus qu’à sélectionner les lots en fonction du climat, de la qualité du millésime dans chaque région, de l’évolution des prix et de la demande de sa clientèle. « Il faut garder la tête froide, toujours partir avec une enveloppe budgétaire bien définie et faire chaque année les meilleurs choix ». Pour mener à bien cette première étape capitale de son métier, il s’appuie dans chaque région sur un réseau de courtiers de campagne qui comme des rabatteurs l’orientent vers les meilleures cuves. Ces dernières années, le réchauffement climatique oriente ses recherches vers des vignobles d’altitude et des cépages plus tardifs comme le petit verdot à Bordeaux qui peut représenter plus de 30% de l’assemblage ou bien vers l’aligoté un cépage autrefois méprisé en Bourgogne. « J’ai fait ces dernières années de belles découvertes en Côtes de Nuit et en Hautes Côtes de Beaune et en 2022 je me suis régalé avec de superbes sauvignon de Touraine».

Les vins livrés par camions équipés de micro citernes arrivent fin de l’hiver et sont d’abord stockés dans des cuves en inox. Commence alors la seconde phase du métier où Bernard Grafé se voit plutôt dans le secteur du cousu main que du prêt-à-porter. « Chaque vin est considéré au cas par cas. Le choix du bois, le temps optimale d’élevage, les soins apportés, la clarification qui doit conserver la substance  du vin, le soutirage toujours réalisé à l’abri de l’aire, le collage réalisé au blanc d’œuf ou à la protéine de pomme de terre, la micro-oxygénation, la filtration la plus subtile possible et l’embouteillage». L’acquisition des fûts de chêne, de multiples origines, qu’ils soient neufs ou d’occasion, est primordial pour affiner les vins qui y seront logés entre 6 et 12 mois. Une douzaine de vins bios font l’objet d’une certification qui contrôle et garantit les étapes de l’élevage, comme l’usage limité du SO, le collage à l’albumine d’œufs biologiques, la conformité de l’étiquetage, etc. .  

Les caves de Grafé Lecoq sont réparties sur deux sites ; les caves d’élevage en fûts situées sous la Citadelle de Namur et les caves de conservation en bouteille enfuient sous la cathédrale et le palais de justice. 

Les vins élevés en fût dans l’ancien tunnel du tram d’une longueur de 120 mètres, construit sous Léopold 2 pour relier le centre de Namur à l’esplanade, profite d’une hygrométrie constante de 90% et d’une température constante de 11°.  Ce long couloir obscure, froid et humide, recouvert de champignons noires qui se nourrissent de « la part des anges »,  peut abriter 1.200 fûts renouvelés tous les cinq ans. 

Les caves de conservation sous la Cathédrale et le Palais de Justice de Namur abritent les crus après la mise. Les 800.000 bouteilles sont soigneusement rangées dans les caveaux répartis tous le long des quelques 500 mètres de couloirs. Ici aussi, l'environnement offre des conditions naturellement constantes idéales. Les vins qui y sont logés ne quittent cet environnement idéal que la veille de la livraison au client.

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