Le mezcal n’est pas une téquila
01.04.2024
De la même manière que le monde du whisky ne se limite pas au scotch, l’univers des distillés d’agaves ou d’autres plantes de la famille des Dasylirion ne s’arrête pas à la téquila.
Les spiritueux mexicains et particulièrement la téquila connaissent un essor remarquable depuis qu’ils sont propulsés au-devant de scène internationale par des célébrités américaines. Dans le sillage de la téquila, d'autres spiritueux ont fait leur apparition : Raicilla, Sotol, Comiteco... et surtout le Mezcal.
Le mezcal et la téquila sont souvent confondus. Et pourtant le mezcal n’est pas une téquila. La Tequila qui représente des volumes de production beaucoup plus importants que le mezcal est considéré comme un produit technologiquement plus abouti, mais aussi plus industriel. Par contre les producteurs de Mezcal continuent à répéter, comme un rituel, les mêmes gestes que leurs ancêtres. La production est assurée par une multitude de petites unités de production artisanale appelées « Palanque ».
En plus, ils proviennent de régions différentes du Mexique et sont également fabriqués à partir de types d'agaves différents. La téquila ne peut être fabriquée qu'à partir de l'agave bleue, tandis que le mezcal peut être fabriqué à partir de plus de 30 variétés différentes.
Le Mexique est un véritable sanctuaire pour les Agaves. Plus de 250 variétés sont cataloguées du nord au sud du pays, mais seulement 39 sont exploitées pour la production de distillés. Chacune de ces variétés est adaptée aux climats et aux sols spécifiques des différentes régions. Contrairement à la D.O. Tequila qui n’autorise que l’utilisation de l’agave Weber Azul, une grande variété d’agaves ( magueys ) cultivés ou sauvages est exploitée pour le Mezcal. L’ »espadin », une variété d’agave cultivée, est cependant la plus répandue. Elle côtoie l’agave papalote, tabala, marmorata, tepeztate, bicuixe, etc, qui sont des variétés sauvages qui poussent librement dans les campagnes. En fonction des variétés, il faut attendre entre 8 et 20 ans pour récolter les cœurs d’agave à maturité.
80% de la production de Mezcal est concentrée au sud de Mexico, dans l’état de Oaxaca et plus précisément à Matatlan. Plus de 90% du Mezcal est encore élaboré selon un rituel artisanal, mais des grandes entreprises multinationales comme Diageo, Bacardi ou Pernod Ricard ont anticipé le succès du Mezcal en investissant dans de grosses unités de productions plus industrialisées.
L’élaboration du mezcal est réalisée dans de petits centres d’élaboration artisanaux situés à proximité d’une source d’eau appelés palanque. La visite d’une palanque équivaut à faire un bon en arrière de plusieurs siècles, au temps des colons espagnols qui ont diffusé l’art de la distillation. Le processus de fabrication est long et exclusivement manuel. Chacune des palanques est composé d’un four, d’un moulin, de 3 à 4 cuves de fermentation et d’un alambique et son refroidisseur. Le four n’est rien d’autre qu’un trou de 2 à 3 mètres de profondeur et de 4 à 5 mètres de diamètre recouvert de pierres volcaniques. La première étape consiste à remplir le fond du trou de bois qui provient des collines voisines et d’allumer le feu. Le type des bois est important car la fumée influence les arômes de cuisson des agaves. Deux essences sont habituellement mélangées, le « mesquito » et l’ « encino ». Ensuite le four est chargé avec les cœurs d’agave préalablement coupés en morceaux, et recouvert d’une bâche elle-même recouverte d’une couche de terre pour maintenir la chaleur. La cuisson lente qui permet de transformer l’amidon en sucre dure une petite semaine.
Le fameux gusano (vert)
Un fois le feu éteint, les morceaux d’agave cuits sont broyés dans le moulin par une route de granite circulaire entrainée par un cheval. Le jus et les fibres broyées sont mélangés avec de l’eau dans des cuves de fermentation en bois d’une capacité de 1.000 litres. En fonction de la température la fermentation dure de 5 à 7 jours. On obtient le fameux pulque, cette boisson fermentée mythique que les incas offraient aux dieux. Un fois filtré, le jus est transvasé dans la cuve de l’alambique qui est chauffé au bois pour la phase de distillation. C’est à ce moment que chaque distillateur fait preuve de créativité et marque son mezcal d’une touche personnelle en ajoutant certains ingrédients comme des bananes, des mangues, des pommes, des ananas et même une poitrine de poulet. L’activité de la planque est continue. On y travaille toute l’année 24heures sur 24 sauf en cas de fortes pluies qui peuvent inonder les fours construits en plein air.
Il est difficile de définir le gout du Mezcal tant il existe différents types en fonction des variétés d’agave utilisées soit seule soit en assemblage. Il se distingue cependant de la Tequila par des saveurs plus sauvages et toujours ces notes fumées qui proviennent de la lente cuisson des cœurs d’agave au feu de bois.
Traditionnellement on peut ou pas ajouter le fameux « gusano » qui repose dans le fond de la bouteille. Ce n’est pas seulement une touche folklorique pour amuser les touristes, en effet la décomposition lente du vert apporte du gras et colore d’une belle couleur dorée l’alcool qui est transparent à la sortie de l’alambic.
Agave sauvage
Le Vago "Ensamble" est un exemple de mezcal assemblé. On peut dire qu'il s'agit d'un mezcal super-premium car chaque lot est unique et fabriqué à partir d'un mélange d'agaves sauvages et cultivés.
Le Vago 'Ensamble' est un mezcal ancestral, ce qui signifie qu'aucune technique moderne ne peut être utilisée dans sa production. Seuls le bois, les pierres et l'argile sont autorisés, comme autrefois. Il s'agit d'un Mezcal de dégustation pure à savourer : il est minéral, salin, avec un soupçon de miel et un soupçon d'herbes du jardin. Malgré son titre alcoométrique de 50,7 %, l'alcool est bien intégré.
Pour ceux qui recherchent une solution plus ludique et qui ont envie d'un cocktail, il existe de nombreuses options. Mon choix pour l'occasion s'est porté sur le mezcal Pechuga de Punta Real (Oaxaca, pechuga artisanal, 100% Espadin de Licorera Oaxaquena). Ce mezcal est distillé avec des fruits tropicaux, des agrumes et des baies sauvages, avec de la poitrine de dinde ( !) dans l'alambic, ce qui donne un alcool étrangement huileux, mais frais et plein de caractère. Le mélange de fruits et d'épices utilisé lors de la distillation rappelle le DOM Bénédictine, alors pourquoi ne pas mélanger les deux ?
Texte : Ulric Nijs et Baudouin Havaux
(continuez à lire en dessous de la photo)
Cocktail Punta Sextal
- 45ml de Mezcal (p.e. Punta Real Pechuga de Pavo
- 20 ml de DOM Bénédictine
- 15 ml de jus de citron vert frais
- 60 ml de jus de pamplemousse rose
- 12 ml de sirop d'orgeat
- (facultatif: 1 blanc d'œuf
Secouez et filtrez dans un verre à cocktail refroidi et décorez d'un zeste frais de pamplemousse rose et d'une branche de romarin brûlé.
Le monde du mezcal est effrayant, beau et extra ordinaire, plein de saveurs étranges et exotiques et imprégné de traditions séculaires, à condition d'être prêt à creuser un peu pour trouver ces distillats extraordinaires !